Tous l'individualistes !
Non, individualisme ne rime pas avec égoïsme. C'est ce que démontre le philosophe Alain Laurent dans une anthologie qui ébouriffe bien des certitudes.
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L'individualisme est considéré généralement comme un défaut, or, pour vous, c'est une vertu. Pourquoi ?
Alain Laurent : Parce que c'en est une. D'où le titre de cette anthologie, L'Autre Individualisme, que je viens de publier. Ce que j'appelle ainsi c'est celui que définissent la plupart des dictionnaires : la reconnaissance de la souveraineté de l'individu. En psychologie, c'est un comportement indépendant et autonome, le contraire du suivisme. En politique, la valorisation de l'initiative privée, la volonté de privilégier le développement des droits et des responsabilités de l'individu – par opposition au collectivisme. C'est l'application de la fameuse devise d'Emmanuel Kant : oser penser par soi-même.
Comment expliquer cette évolution sémantique ?
Et Donald Trump, de quel individualisme est-il le représentant ?
En dépit de son nationalisme, il incarne en partie l'individualisme américain traditionnel, jadis célébré par Herbert Hoover : se faire soi-même sans attendre d'assistance d'un État toujours trop intrusif, résister aux injonctions de la bien-pensance collectiviste de l'establishment.
Qu'est-ce qui explique, selon vous, que l'on renonce à sa liberté ?
L'individualisme peut impliquer une insécurité ontologique : il faut inventer soi-même le sens de sa vie. Pour beaucoup, c'est effrayant, surtout si l'on a subi l'imprégnation des idéologies du collectif, pour qui être citoyen, c'est renoncer à disposer pleinement de soi-même. Aujourd'hui, en France, le culte de la République est ainsi en passe de devenir une idéologie. Avec injonction de participer à ce nouveau culte incantatoire !
Mais comment vivre en société si chacun fait ce qui lui plaît ?
D'abord toute liberté se conçoit avec des limites. Et l'individualisme n'est pas l'isolement. Ses penseurs, même Palante ou Stirner, ont voulu instituer un nouveau type de lien avec les autres : coopérer, partager ce que l'on a librement choisi, sans aliéner sa singularité. L'individualisme peut ainsi mener à la coopération volontaire, comme l'ont soutenu des anarchistes français et américains. « L’associationnisme » prôné notamment par Proudhon en est une des interprétations possibles. En fait, ce fameux individualisme consumériste tant vilipendé est un oxymore. La société de consommation exige le collectif, elle a besoin des communautés. Ou plus exactement de pseudo-communautés ou tribus, créées de toutes pièces par le marketing pour mieux segmenter le marché. Nous vivons sans réfléchir dans une confusion lexicale généralisée, rien moins qu'innocente. C'est l'un des maux majeurs de ce nouveau siècle.
Alain Laurent, "L'Autre Individualisme. Une anthologie". Les belles lettres, 515 pages, 35 euros.